lundi 29 avril 2013

Indulgence narrative circonstancielle

En fin de semaine, je jouais une partie de Donjons et Dragons (DnD) avec des amis. Et, comme toujours, j'occupais la fonction de maître de jeu (Dungeon Master ou DM pour les intimes... pour les autres, ça veut dire que je joue les ennemis et que je raconte le corps de l'histoire). Arriva en cours de partie une circonstance typique d'une histoire de DnD : les personnages ont été capturés, enchaînés, bâillonnés et s'apprêtaient à subir un sort funeste.

Malheureusement, suite à une série de malencontreux jets de dés (pour les non initiés : à DnD, quand vous voulez savoir si vous réussissez une action, vous roulez les dés et, selon le personnage joué, vous avez un certain pourcentage de chance de réussir ou d'échouer), le voleur du groupe avait perdu connaissance et ne pouvait donc crocheter le cadenas des chaînes de ses amis et le guerrier venait d'échouer le jet qui lui aurait permis de briser ses chaînes grâce à sa grande force. Dans la salle voisine, le bourreau affûtait sa hache. Bref, on s'enlignait pour une fin de partie un peu abrupte. C'est alors que le joueur du mage m'a lancé :

- J'active le sort qui me permet de faire apparaître mon dragonnet-familier et il fait fondre nos chaînes avec son souffle. Ça va brûler un peu, mais...

J'ai regardé le joueur de travers.

- C'est un sort qu'il faut que tu lances d'avance. Tu ne m'as jamais dit que tu l'avais fait dernièrement.

- Voyons, m'a dit le joueur, tu sais bien que mon personnage lance ce sort tous les matins.

Et là je me suis retrouvée dans une situation bien connue de tous les DM du monde. La situation où tu considères l'idée d'être ultra-indulgent envers un joueur parce qu'il :
A- possède un livre de règles important et tu ne veux pas risquer qu'il se frustre et parte avec;
B- est un bon ami, mais trop attaché à son personnage, et tu ne veux pas te le mettre à dos;
C- est la blonde ou le chum d'un autre joueur et tu tiens à ce que le conjoint continue à jouer;
D- a eu une idée permettant de sauver le groupe et de continuer à faire avancer l'histoire que tu as pris des semaines à préparer, mais qu'une série de jets de dés malchanceux est en train de massacrer.

Comme la situation tombait clairement dans la catégorie D (la circonstance la plus valable, mais malheureusement pas la seule auxquels les DM doivent se plier), j'ai accepté que le joueur puisse activer son sort, même s'il n'avait pas mentionné l'avoir lancé lorsqu'il m'avait narré les faits et gestes de son personnage. Les personnages se sont libérés de leurs chaînes et l'histoire a repris son cours...

J'ai été indulgente, donc, pour le bien de l'histoire. Et parce que, lorsque je suis DM, je veux avant tout que tout le monde autour de la table ait du fun. Le but, c'est pas tant de raconter une bonne histoire (celle-là, en l'occurrence, parlait d'aller sauver une princesse détenue dans un château!), juste de mettre en place une trame dans laquelle les joueurs pourront improviser les actions et réactions de leurs personnages.

Quand quelqu'un improvise, faut être indulgent à son égard.

Mais transposez-moi le même genre de situation dans un roman (un personnage qui active quelque chose de "préparé à l'avance", alors qu'on ne nous a jamais mentionné qu'il se préparait) et là, je n'aurai aucune indulgence. Premièrement, les chances sont grandes pour que l'auteur ne puisse pas partir avec mes livres de règle, qu'il ne soit pas un ami assez proche pour que son opinion me dérange, qu'il ne sorte pas avec un de mes amis proches... et que si son histoire s'en va à vaux l'eau, ce ne soit pas mon problème.

Bref, quand on écrit et qu'on improvise une solution, faut oublier le conseil "ne relisez pas ce que vous avez écrit". Faut prendre le temps de retourner huit pages en arrière pis de rajouter une petite mention ou deux, histoire que vos lecteurs ne s'aperçoivent pas que vous venez de leur sortir un lapin d'un chapeau. Attendez pas la direction littéraire pour faire la correction.

D'un coup que ça passerait tout droit, que ça se retrouverait imprimé pis que ça inspirerait un billet de blogue... :p

14 commentaires:

Karine Bergevin a dit…

Je suis bien d'accord avec vous; moi aussi je trouve décevant de lire ce genre de rebondissement improbable. Lorsqu'on écrit, ce n'est pas une improvisation, on a la possibilité de se relire, de retravailler le texte, de modifier certaines scènes. Je dirais même que c'est un devoir, une marque de respect pour les lecteurs. N'oublions pas qu'il est facile pour un lecteur de fermer le livre en plein milieu et qu'il est possible qu'il se rappelle le nom de l'auteur, mais pas pour les bonnes raisons...

Pat a dit…

Quelle édition?

Gen a dit…

@Karine : Exactement! (Et bienvenue chez moi! :)

@Pat : Quand c'est moi qui est DM, c'est la bonne vieille 2e édition "advance" (avec un million d'ajouts maison empruntés aux éditions suivantes et des sorts inventés par plusieurs groupes de joueurs... qu'est-ce qu'on s'amuse!!! ;)

Isabelle Lauzon a dit…

Hum-hum... Et en privé, tu me diras quel bouquin t'a inspiré ce billet de blogue! Je suis certaine que tu avais un titre en tête... ;)

Hélène a dit…

J'avoue qu'à D&D, ça nous est souvent arrivé pour sauver les meubles. C'est clairement un cas où tu ne veux pas gâcher la soirée (la semaine, le mois...) des joueurs et du DM. Mais moi non plus je n'ai pas de pitié pour les auteurs qui oublient de se relire, et ajoutent des éléments au fur et à mesure. C'est d'un grossier inacceptable, nous n'écrivons plus un premier-jet-final directement dans un livre relié comme Bilbo le Hobbit!

Gen a dit…

@Isa : Non, plusieurs, lol!!! ;)

Gen a dit…

@Hélène : Euh... J'suis pas sûre de comprendre ton commentaire. Bilbo était loin d'être un premier jet. Et dans le livre, on n'y trouve pas tellement d'improvisation. (Ne me relance pas sur le sujet du film!)

Annie Bacon a dit…

@Gen: et c'est pour ça qu'au Donjons et Dragons, on (mon groupe et moi) a toujours joué sans cette règle d'étudier des sorts particuliers d'avance. Ça enlève trop d'improvisation intéressantes. #réponse de Geek!

Isabelle Lauzon a dit…

Plusieurs? Ah, ouais, d'accord... LOL ;)

Gen a dit…

@Annie : Je ne parle pas d'étudier des sorts pour la journée (on s'est débarrassé de cette règle nous aussi), mais de lancer un sort qui dure 24h à 48h et dont on peut activer l'effet au besoin (dans le genre des sorts "de contingence"). Un espèce d'effet retardé, quoi.

Annie Bacon a dit…

Jamais entendu parler! Remarque le seul magicien que j'ai joué utilisait une magie inventée par le DM (comme tu dis plus haut, qu'est-ce qu'on s'amuse!)

Gen a dit…

@Annie : Ah bon. Nous, on s'est souvent retrouvés avec des groupes entiers de magiciens. O_o (Et un rat devenait un adversaire redoutable...)

Hélène a dit…

Bon, pour m'expliquer: dans le premier film le Seigneur des anneaux, on voit Bilbo écrire directement à la plume dans un gros livre relié, qu'il va terminé en cours d'histoire (illustrations et tout). C'est l'image qui m'est restée en tête "une chance que je n'ai pas à écrire comme ça, sinon ouch!"

Gen a dit…

@Hélène : Ah ben là on parle pas de la même chose! lol! ;) Ça c'est plutôt le gars des vues qui y est allé fort sur le support visuel. Et pour avoir déjà écrit avec une plume à tremper, un moment donné on en prend l'habitude.