vendredi 21 septembre 2012

Personnages en carton

L'autre soir, je jouais à un jeu de rôle avec des amis (que les esprits mal tournés se calment, je parle d'une partie "papier et dés" de Vampire The Masquerade, pas d'un truc "menottes et cravaches"!). Et j'ai vu en action les deux méthodes de base pour créer un personnage : la bonne et la mauvaise! ;)

L'une des personnes présentes est arrivée avec sa fiche de personnage déjà complétée. (Pour ceux qui ne savent pas ce que c'est, une fiche ça donne des statistiques chiffrées aux différentes capacités d'un personnage, par exemple sa force, sa dextérité, sa capacité à infiltrer des ordinateurs, etc). Et là, en début de partie, au moment où le personnage devait se présenter, la personne a inventé l'histoire du personnage, les yeux fixés sur les statistiques.

"Euh, mon personnage, c'est un ancien militaire, il est sorti de l'armée parce que, euh, il a pas une bonne santé... Il a été blessé... Mais c'est rien de grave, il a encore toutes ses capacités de combat et dans ses temps libres il a appris à réparer et à infiltrer des ordinateurs. C'est un québécois, alors il est bilingue."

Personnalité? Mystère. Pourquoi le personnage a joint l'armée? Mystère. Grade obtenu? Mystère. Pays où il a servi? Mystère. Ses parents vivent où? Mystère.

Le personnage a tout simplement les capacités les plus appropriées (combat, informatique, linguistique) pour réussir la mission qui nous avait été confiée (infiltrer l'organisation des vampires du coin). C'est une silhouette de carton peinte aux bonnes couleurs et qui s'insère parfaitement dans le trou qu'il doit combler.

Un autre joueur a ensuite présenté son personnage. Sa fiche était prête lui aussi, mais l'endos portait une longue série d'indications manuscrites.

"Mon personnage est un orphelin des rues de Shanghaï qui a été ramassé par une triade chinoise et utilisé dans des combats illégaux contre d'autres orphelins. Il a survécu à ses premiers combats, alors ils l'ont entraîné, ont parié sur lui et il s'est mis à leur rapporter beaucoup d'argent. Suffisamment pour que les triades finissent par lui en verser une partie. Il y a trois ans, il s'est acheté un billet d'avion pour la première destination venue. Il est arrivé au Canada. Depuis, il y vit dans l'illégalité, en travaillant au noir dans le Quartier Chinois de Montréal. Auprès des clients, surtout d'une jolie étudiante chinoise qui vient souvent au restaurant où il est serveur, il a appris le français et l'anglais."

Et voilà. Ce personnage-là n'est pas en carton. Au final, il a des statistiques semblables au premier (combat et linguistique), mais on devine aisément sa personnalité (un survivant), ses problèmes (il n'a pas de statut légal, son ancienne triade le recherche), ses atouts (il connaît bien les milieux interlopes) et ses attaches (la jolie étudiante).

La différence? Le second joueur a créé son concept sans penser outre mesure aux prérequis de la partie (sinon au fait que nous devions être des combattants, sinon on ne serait pas recrutés pour la mission), mais en tentant d'écrire une histoire parallèle complète. Ensuite, il a attribué ses statistiques en conséquence. Son personnage est tridimentionnel, il déborde par endroit du trou qu'il doit combler dans l'histoire (on n'avait pas pensé avoir besoin de contacts avec les milieux criminels, ça servira peut-être pas, mais...) et à d'autres moments il présente des manques (aucune capacités informatiques) qui devraient rendre l'aventure plus complexe, mais aussi beaucoup plus intéressante.

À méditer la prochaine fois qu'on sera tenté d'écrire, au beau milieu d'un roman, "Mais Paul, qui avait joué au baseball dans sa jeunesse, renvoya la grenade d'un lancer digne des ligues majeures..." Je crois que, idéalement, pour éviter de se faire dire que nos personnages sont en carton, ils ne devraient jamais correspondre trop exactement au cadre d'une histoire.

Car lorsqu'un lecteur se dit, en cours de lecture, "Tiens donc, ça tombe bien que le personnage sache faire cela", votre chien est mort : il vient de se rendre compte qu'il est face à une silhouette de carton. Le même phénomène se produit lorsque toutes les capacités attribuées au personnage (y compris l'art de la danse zulu les nuits de pleine lune) entrent en jeu à un moment critique ou un autre.

À moins que vous soyez en train d'écrire un film américain, il faut que le personnage s'adapte à l'aventure, pas qu'il soit taillé sur mesure pour la surmonter les doigts dans le nez.

11 commentaires:

ClaudeL a dit…

Wow! J'aurais pas voulu être le premier joueur, je me serais sentie poche et recalé! On dirait le cancre et le petit génie.

Gen a dit…

@ClaudeL : Tous les noms et détails ont été changé pour que personne ne se reconnaisse... Et de vive voix, entre une bière et un sac de chip, autour de la table de jeu, la différence était moins évidente. ;)

Surtout que les créateurs de personnages en carton ne semblent jamais se rendre compte du problème.

Carl a dit…

À D&D comme à Vampire, en tant que MD, je tuais toujours les personnages en carton en début de partie... J'ai toujours aimé les personnages réalistes parce qu'imparfaits. C'est une habitude que j'ai gardé. Jadis, on pigeait un défaut à nos personnages. Aujourd'hui, je m'assure que mes personnages livresques sont imparfaits.

Gen a dit…

@Carl : Étant donné que j'ai malheureusement beaucoup de joueurs qui faisaient des personnages en carton, je ne procède pas à leur élimination systématique. Jadis je prenais la peine de leur étoffer leur histoire et de les doter de défauts (et, en général, les joueurs arrivaient ensuite à bien jouer leurs personnages).

Maintenant, j'ai plus le temps, alors je vis avec et tant pis au jouer qui finira par s'emmerder! (Parce qu'une partie de jeux de rôles, ça se déroule rarement comme prévu et les personnages en carton finissent toujours par se retrouver dépassés! hihihi ;)

Hélène a dit…

Que voulez-vous, y'en a qui l'ont pas, le gène des jeux de rôle comme pour créer des persos réalistes. C'est vrai que ces fichtrement plus drôle lorsqu'on a de beaux gros défauts a exploiter, ça rend le jeu (ou l'histoire) plus intéressant. Exemple: À D&D j'aimais jouer les "chaotic-good", ainsi je finissais toujours pas partir de mon côté par cupidité ou curiosité, et déclenchait quelques pièges en chemin, mais l'histoire avançait. Bon vieux temps!

Gen a dit…

@Hélène : Lol! J'aime bien, pour ma part, quand mes joueurs ont chacun leurs agendas cachés, pas nécessairement à l'encontre des intérêts de l'équipe, mais pas nécessairement toujours correspondants non plus. Comme tu dis, ça fait avancer les choses et ça met du piquant.

Pour ceux qui n'ont jamais joué à un jeu de rôle, le but annoncé de la partie finit souvent en prétexte, l'important étant de passer un bon moment autour de la table, confortablement glissé dans la peau de son personnage... et à donner des maux de tête au maître de jeu en décidant d'inonder les souterrains qui devaient être explorés et que le maître de jeu a mis une semaine à concevoir... (histoire vécue... et le maître de jeu c'était moi! lol!)

Vincent a dit…

Encore désolé pour cette inondation... Hum... Non, je ne suis pas vraiment désolé! :)

Gen a dit…

@Vincent : Lol! ;)

Hélène a dit…

Et ça stimule l'imaginaire, ce faisant! À ne pas négliger.

François Bélisle a dit…

Une bonne base pour donner un atelier, ça!

Gen a dit…

@Hélène : En effet! ;)

@François : Ah ce serait amusant d'ailleurs! ;) Atelier-jeux de rôle sur l'art de créer un personnage! ;)