mardi 29 mai 2012

La valeur d'un diplôme en histoire

J'ai un bac et une maîtrise en histoire. Et je trouve ça très drôle quand j'entends dire que les diplômés universitaires gagneront plus chers que les non diplômés et que, donc, leurs études représentent un investissement.

Voyez-vous, ça rapporte pas une cenne des études en histoire, à moins de faire partie des rares chanceux qui se trouvent un poste de prof au cégep (et "chanceux", faut le dire vite : ils ont probablement dû déménager 3 ou 4 fois et endurer 5 à 6 ans de précarité totale avant d'avoir enfin la promesse de faire deux sessions de suite dans le même cégep, le tout à l'âge où, si vous êtes une femme, votre biologie réclame que vous vous construisiez un nid pour élever votre famille). Sinon, les historiens finissent guide de musée, chercheurs universitaires... ou, dans mon cas, secrétaire. Je me plains pas : le secrétariat est plus payant que le guidage de touristes ou la recherche en sciences humaines. Mais c'est une job à laquelle vous pouvez accéder avec un DEP.

J'aurais pu étudier autre chose, sauf que c'est l'histoire qui me faisait tripper, alors c'est vers ça que je suis allée et je n'ai pas de regrets... probablement parce que j'ai obtenu mes diplômes sans m'endetter, en vivant dans un taudis pendant la durée de mes études (pour vous donner une idée, la porte-patio était tellement pourrie que le matin fallait prendre un bon cinq minutes pour écraser les bibittes qui s'étaient infiltrées dans l'appartement pendant la nuit). Si j'entrais à l'université aujourd'hui je devrais faire d'autres choix. À l'époque, ma session me coûtait environ 2500$, incluant les frais afférents et les livres. Présentement, une session, c'est au bas mot 3000$. Avec la hausse, on approchera du 5000$ (parce que journaux et politiciens oublient commodément de parler des frais afférents). À ce prix-là, taudis ou pas, faire une maîtrise en histoire, ça relève du suicide économique.

Quand j'explique ma situation, je me fais dire par plusieurs personnes que si les diplômes d'histoire ne rapportent pas d'argent, c'est qu'ils ne valent rien et que c'est peut-être pas grave s'ils deviennent moins accessibles. Après tout, qui a besoin d'historiens?

C'est vrai que ça vaut rien en espèces sonnantes et trébuchantes les diplômes d'histoire. Mais ça permet d'écrire ça ou ça plus d'un mois avant que les journalistes ne réalisent ça.

Cela dit, je suppose que, aux yeux des politiciens, cette valeur-là du diplôme en histoire (ou des autres sciences humaines), c'est plutôt un problème. Et qu'ils ne verseront pas de larmes si les nantis deviennent les seuls à pouvoir se payer ces formations qui enseignent essentiellement l'art de réfléchir. 

24 commentaires:

Philippe-Aubert Côté a dit…

Da! Malheureusement :-(

Ça me rappelle ce qu'un ami en sciences et moi discutions l'autre jour: on trouvait qu'on nous avait *menti* un peu au moment d'entrer à l'Université. À la sortie du cégep on nous faisait miroiter toutes sortes de job stimulantes en lien avec notre passion pour les sciences, mais plus tu avances dans le cursus, plus tu découvres que tu dois faire des études supérieures (second et troisième cycle) si tu veux faire de quoi pour réaliser qu'en bout de ligne l'université ne semble vouloir te préparer qu'à une carrière académique qui est bien loin de nos aspirations premières -- i.e. on va en science parce qu'on est curieux envers la science mais si t'es pas un entrepreneur ou un homme d'affaire, oublie ça, la recherche -- et ce qui me fait rire c'est que dans les tests d'intérêts psychologique on disait que entrepreneur et savant, c'était deux opposés :-(

Anyway. On pourra se trouver une jobine tranquille qui permet d'écrire :-) Et de réfléchir... :-p

Max a dit…

J'aimerais juste apporter une précision. Quand tu dis que "[tu trouves] ça très drôle quand [tu] entends dire que les diplômés universitaires gagneront plus chers que les non diplômés et que, donc, leurs études représentent un investissement", c'est vrai - globalement. C'est faux si tu y vas au cas par cas, bien sûr: un médecin va faire dans sa vie des millions de plus qu'une personne pas de diplôme universitaire, tandis qu'avec un diplôme en histoire, en philosophie ou en théologie, c'est loin d'être le cas (et comme tu le soulignes, en fait ils ne "valent rien" en terme de revenu supplémentaire).

Je suis de ceux qui croient que la valeur d'un diplôme n'est égale qu'à la valeur de la formation qu'il clôt, et que cette formation dépasse la simple acquisition de connaissances. Je suis de ceux qui croient sincèrement que l'accès à l'éducation supérieure est une ouverture sur le monde, sur les autres autour de nous; c'est une porte de sortie de la pauvreté (en tant que société; malheureusement, d'un point de vue individuel, ça dépend du type de diplôme... pour l'instant).

L'argumentaire du revenu plus élevé pour les diplômes est en fait un argument CONTRE la hausse des frais de scolarité et POUR la gratuité scolaire: d'un point de vue fiscal et économique, l'État devrait garantir l'accès au maximum de gens aux études supérieures pour le simple fait d'encourager ses recettes fiscales et le fonctionnement de l'économie. Et qui sait, peut-être qu'un jour, les historiens, professeurs, philosophes et théologiens seront reconnus à leur juste valeur...

Max a dit…

Dernière précision: l'argument sur la valeur pécuniaire d'un diplôme est pour moi le moindre des arguments contre la hausse des frais de scolarité. Je l'ai développé simplement pour faire remarquer qu'en fait, cet argument est inutile dans le débat actuel: d'une part, on dit que la hausse des frais de scolarité est justifiée par le fait que les revenus seront supérieurs par la suite (ce qui est faux, au cas par cas) tandis que de l'autre, j'affirme que la gratuité est justifiée par le même fait. Cet argument s'annule donc puisqu'il est le même dans les deux camps :)

Gen a dit…

@Phil : Pas besoin d'avoir étudié en sciences pures pour avoir cette impression. Quand je suis entrée à l'université, les conseillers en orientation nous disaient que l'emploi ne manquerait pas en enseignement, parce que non seulement les profs de cégep prendraient leur retraite, mais en plus le manque de prof était tellement criant au secondaire qu'on verrait sans doute le retour de l'année de pédagogie permettant de faire le "pont" entre le bac spécialisé et le bac en enseignement.

Au début de ma maîtrise, on voyait déjà que ces prédictions ne se réaliseraient pas : les profs de cégep retardaient leur retraite, ceux qui partaient n'étaient pas remplacés et le fameux pont vers l'enseignement n'avait pas été mis en place, sauf au niveau de la maîtrise et seulement dans quelques disciplines. De toute façon, les conditions s'étaient tellement dégradées au secondaire qu'il fallait être fous pour s'y frotter (je le sais, j'ai essayé).

Mais bon, boulot ou pas, les acquis ne sont pas perdus pour autant. ;) Mettons qu'en écrivant Hanaken, mon bagage en recherche m'a bien servie!

@Max : C'est gentil de nous faire partager tes réflexions, qui montrent bien que l'argument monétaire est fallacieux.

Je prenais ici mon cas précis afin de démontrer c'est quoi la "valeur non monétaire d'un diplôme", mais pour rester sur le plan des chiffres, on pourrait aussi mentionner les économies que la société fera en termes de soins de santé, de régimes de retraite, d'aide au décrochage, etc, les gens éduqués ayant tendance à être en meilleure santé, à mieux planifier leur retraite et à encourager leurs enfants à étudier.

Cela dit, je ne crois pas à la gratuité totale des études. Un paiement symbolique aide les gens à prendre les choses au sérieux, dans plusieurs domaines. J'y reviendrai dans un autre billet.

Max a dit…

En fait, je vais préciser une fois de plus mon opinion. Je ne crois pas non plus que la gratuité scolaire soit nécessaire ou souhaitable, mais je ne crois absolument pas que la gratuité scolaire soit mauvaise en soi non plus. Je dissocie aussi gratuité et médiocrité (comme on peut le voir, par exemple, en France).

En fait, il faut plutôt redéfinir le système d'éducation dans son ensemble avec une stratégie globale. En étudiant cette stratégie dans son ensemble, on pourrait déterminer si oui ou non on veut qu'un des éléments de cette stratégie soit des frais d'inscription modérés, une sorte de ticket modérateur. Mais cela doit se faire dans une perspective globale où ces frais sont cohérents avec le reste de l'approche ("dette sociale", hausse des frais en cas d'études prolongées, hausse du niveau de qualité (pas juste économiquement parlant), etc.)

L'erreur, c'est de dire qu'a priori, la gratuité scolaire est une bonne ou une mauvaise chose.

Enfin, je crois que l'université n'est pas obligatoirement un lieu qui doit être accessible à tous et toutes, mais à tous et toutes qui ont la motivation et les capacités nécessaires pour en retirer quelque chose de positif. Autrement, on nivelle vers le bas et on dévalue le tout (vive le communisme, ou tout le monde est aussi poche les uns que les autres, sans respect pour les réalités individuelles!)

Selon moi, l'argent ne devrait jamais être un facteur qui décourage quelqu'un ayant cette motivation et ces facultés d'accéder aux études supérieures, tout comme des dettes ne devraient pas être le fardeau que devront obligatoirement porter ceux qui ne sont pas déjà riches et qui choisissent néanmoins de suivre un parcours universitaire "non rentable". (Sur ce dernier point, je n'élaborerai pas ici puisque ça ouvre la porte à une discussion en soi...)

Gen a dit…

@Max : Je suis d'accord avec toi sur l'idée que le financement et la structure de l'éducation doivent être revus dans leur ensemble.

Sauf que ce ne sont pas les seuls éléments de notre "contrat social" qui sont à revoir. Réduire le débat aux frais de scolarité est une erreur présentement.

Pour ce qui est du nivellement par le bas... Oh well, ça c'est un problème généralisé dans notre société, pas juste dans nos universités. En effet, ce n'est pas la voie à suivre, mais je pense qu'au Québec on rencontre présentement plus de gens qui auraient les capacités d'étudier et qui ne le font pas que le contraire.

Max a dit…

Des états généraux sur l'éducation...? Et pourquoi pas des états généraux sur le rôle du gouvernement? :)

Commençons d'abord par nous débarrasser des libéraux, des péquistes et des caquistes et on aura déjà fait un bon bout de chemin. ;)

Gen a dit…

@Max : Problème actuel : on les remplace par quoi?

Max a dit…

AAArgh j'avais une réponse de 500 mots et j'ai cliqué sur un lien par accident et j'ai quitté la page... :'(

Max a dit…

Je vais quand même résumer ce que j'avais écrit...

Remplacer par qui? Par des gens plus fiables et plus honnêtes. Des gens qui veulent changer les choses et qui ne sont pas juste accros au pouvoir.

Je ne dis pas que tous au PQ/PLQ/CAQ sont corrompus et vendus, mais il y en a suffisamment pour qu'on ne puisse plus faire confiance à l'ensemble.

On ne passera pas du jour au lendemain d'un gouvernement formée d'un des deux partis de l'establishment (disons trois, pour être fin avec les caqistes) à un gouvernement de Québec Solidaire. D'ailleurs, ce n'est probablement pas souhaitable. Mais que dirais-tu si on passait à un gouvernement de coalition formé d'Option Nationale et du Parti Vert, avec Québec Solidaire comme opposition officielle? ;)

Max a dit…

Pour appuyer ma fustigation de l'establishment avec quelques perspectives sur la dette du Québec:

- Depuis 40 ans, le PQ et le PLQ se sont échangés le pouvoir à tour de rôle

- En 1970, le Québec n'avait pratiquement aucune dette (http://www.quebecdroite.com/2010/04/la-verite-sur-la-dette.html et http://www.cirano.qc.ca/pdf/publication/2005RB-06.pdf)

- En 2012, la dette brute du Québec dépasse 180 milliards de $, qui passe à 234 milliards de $ si on compte l'ensemble du secteur public (http://www.iedm.org/uploaded/pdf/detteQR_fr.pdf)

- La dette a connu une croissance fulgurante depuis 12 ans (http://www.radio-canada.ca/nouvelles/Economie/2010/01/20/015-Dette-historique.shtml), alors que les gouvernements ont été péquistes et libéraux (c'est pas juste les libéraux, le problème)

Max a dit…

Voici de quoi s'inspirer: http://www.choix-realite.org/5982/la-revolution-islandaise

Gen a dit…

@Max : Euh, c'est ptêt aussi bien que tu aies résumé : c'est un blogue ici! lol! Pas un forum de dissertation! ;)

Évidemment qu'il faudrait remplacer la triade de partis du grand capital, mais les options alternatives ne sont pas fameuse. Ce serait très bien une coalition des partis verts et de gauche. Sauf qu'en l'état actuel des mécanismes électoraux, ce serait fort surprenant.

Max a dit…

Ouais, ben tant qu'on pousse pas pour changer, ça changera pas :P Le statu quo n'est plus une option.

Gen a dit…

@Max : Euh, s'cuse-moi, mais de un, je suis historienne, j'suis un ti peu au courant de la chronologie des événements (et mes lecteurs aussi, tsé certains étaient déjà nés en 1970! lol!). De deux, l'exemple scandinave, c'est bon, on commence à le connaître. De trois, disons que tu ramènes des arguments qui ne sont pas neufs ici.

Allez, on respire par le nez. ;) Je comprends que tu te sens impliqué, mais là c'est quasiment du spam ton affaire.

Max a dit…

Je voulais juste m'assurer de pas paraître "chialeux" sans justification ;)

Gen a dit…

@Max : Ben... tu as malheureusement juste l'air du gars qui vient de débarquer ici et qui a jamais lu mes autres billets! lol! C'est pas un crime, mais ça appelait une mise au point. ;) Tous les arguments sont connus. Et la constatation qu'on est dans une impasse aussi.

Alors on attend et on voit venir. D'ici à ce qu'il y ait des élections, mon instinct d'historienne me dit que des choses vont bouger... et je suis pas trop loin de la plaque à date! ;p

Max a dit…

Ouin, en y repensant j'ai effectivement dû avoir l'air de juste débarquer de nulle part. Pendant un instant, la frontière entre FB et ton blogue s'est dissipée dans mon esprit, confondant les deux, et, bon... Bref, je te présente toutes mes excuses! :)

Gen a dit…

@Max : Pas de trouble ;) Ça fait plaisir de voir qu'on est du même bord dans le combat qui se déroule, faut juste rester un peu zen ;)

Valérie a dit…

Magnifique chronique! S'il faut supprimer tous les diplômes qui ne "valent rien" après, c'est-à-dire qui ne sont pas "monnayables", ça voudra dire qu'on renonce aux Mozart et aux Victor Hugo de ce monde. Alors qu'on fait tant d'argent avec leurs oeuvres maintenant!

Je suis comme toi. J'ai fait deux bacs (en même temps, en trois ans et demi) "pas payants", et en m'endettant en plus. Disons que j'ai fait ma maîtrise sans m'endetter, ça a trop de conséquences!

Avec la hausse, c'est pas compliqué, je n'étudierais pas plus loin que le cégep.

Gen a dit…

@Valérie : Hep, les diplômes "pas payants" finissent toujours par être rentables à long terme. Mais le long terme et notre société se sont pas souvent rencontrés...

Cela dit, certaines techniques sont intéressantes, alors comme elles sont moins chers, moi aussi dans les conditions actuelles, c'est vers ça que je me dirigerais.

Hélène a dit…

Au doctorat(pas terminé), et un collègue se plaignait constamment qu'un chauffeur d'autobus fait plus d'argent qu'il en ferait après son post-doc en biologie. Ben vas-y, chauffeur d'autobus, si l'argent est tout ce qui t'intéresse! Après il va se plaindre qu'il ne se sent pas valorisé dans la société. Faudrait savoir ce qu'on veut, mais il y a rarement de situation idéale. Dans ton cas, c'est génial que tes diplômes t'aident à voir le monde d'un oeil plus critique et en perspective. C'est précieux, ça. Continue j'adore te lire.

Gen a dit…

@Hélène : Oui, faut décider ce qu'on veut : de l'argent ou un certain savoir. Heureux ceux qui peuvent avoir les deux ;)

Cela dit, c'est un peu triste de voir que les longues études ne mènent souvent pas à grand chose sur le plan monétaire. Je crois que ça contribue à entretenir la culture anti-intellectuelle qui fait si mal au Québec francophone (je n'ose plus compter les fois où je me suis fait traiter de snob parce que j'ai un tantinet plus de vocabulaire que mes collègues ou les membres de ma famille et que j'utilise des mots précis sans y penser...)

Gen a dit…

Et pour ce qui est du billet d'aujourd'hui... ben c'est pas si souvent que je peux me péter les bretelles ;) lol!