jeudi 23 février 2012

Question de perception

Quand je me tiens avec de jeunes écrivains, je me sens souvent "riche" : j'ai un boulot stable, un salaire enviable (un poil à peine sous la moyenne québécoise), je n'ai pas à m'inquiéter de faire une dépense imprévue de 100$, mon hypothèque est ma seule dette, elle est gigantesque, mais on arrive à la payer... Bref, ça va bien financièrement.

Pour atteindre cette aisance par contre, ça m'oblige à jongler entre ma job d'écrivain et celle de secrétaire. Je n'ai pas la liberté d'écrire à temps plein quand je le voudrais ou de tout laisser tomber pendant trois jours parce qu'une école de Chibougamau m'invite à faire des animations. Des fois, j'envie mes amis qui travaillent moins. Leur budget est plus serré, mais ils sont libres.

À l'opposée, quand je suis au travail, parmi mes avocats, je me sens parfois "pauvre". Je ne peux pas sortir au resto à tous les midis, ma garde-robe est majoritairement démodée, je ne sais pas faire la différence entre deux modèles de téléphone intelligent et pour moi un "budget de vacances", ça ne se chiffre par en milliers de dollars.

Une avocate me disait l'autre jour qu'elle n'arrive pas à imaginer comment elle pourrait vivre à nouveau sans la liberté de pouvoir acheter ce qu'elle désire sans hésiter, ne jamais compter en faisant l'épicerie, partir dans le Sud sur un coup de tête, aller chez le coiffeur quand ça lui chante... Que toutes ces facilités que l'argent lui procurent lui sont extrêmement précieuses. Puis son cellulaire a sonné. Il était 16h30. Un vendredi. On était au boulot depuis 8h, donc techniquement notre journée venait de finir. Elle a répondu. Demande urgente, dossier à finaliser d'ici lundi matin. Une trentaine d'heures de travail, minimum, en perspective.

Parce que je suis une gentille secrétaire, je me suis chargée d'annuler sa réservation au restaurant prévue pour le soir même. Je l'ai laissée prévenir son chum et ses enfants que la sortie en ski de la fin de semaine se ferait sans elle.

Puis je suis partie en réfléchissant au fait que la liberté et la richesse, c'est vraiment une question de perception. Pour moi, disposer à mon goût de mes soirées et de mes fins de semaine, c'est ça l'ultime liberté. Ça vaut tout l'or du monde. Enfin, je suppose que l'important est que chacun soit heureux et libre, selon sa perception des choses.

Tout ça m'est revenu en mémoire en lisant l'excellente série d'articles sur l'argent qui paraît ces jours-ci dans La Presse sous la plume de Patrick Lagacé. À lire pour découvrir "la culture du voyage dans le Sud". Et pour vous demander si c'est vraiment celle à laquelle vous voulez adhérer.

15 commentaires:

idmuse a dit…

J'adore ton billet!

Prospéryne a dit…

J'ai fait le même choix que bien des écrivains: moins de salaire, mais adoré ce que je fais en me levant le matin. C'est la vie. Et comme je ne suis pas très plage, ça ne me dérange pas trop de ne jamais aller dans le sud. Mais je vais ramasser mes sous pour aller en Europe un jour!

Philippe-Aubert Côté a dit…

Le billet de Lagacé sur le voyage dans le Sud est vraiment intéressant :-)

L’un de ces propos me sonne une cloche : « le crédit a remplacé l’épargne ».

L’autre jour, je discutais avec le marocain qui tient le café où j’aime bien aller rôder et il me disait qu’il existait des programmes pour familiariser les jeunes avec le crédit — il faudrait que je vérifie mais j’ai cru comprendre qu’il s’agissait de « cartes de crédit pour jeunes ». Le principe serait de fournir des cartes de crédit aux jeunes pré-adolescents ou adolescents (avec une limite restreinte) pour leur apprendre comment on gère ce genre de carte — bien entendu, comme ces jeunes n’ont pas de revenus ce sont les parents qui paient.

(Attention : je n’ai pas vérifié si cela existe et comment cela marche, il faudrait confirmer.)

Cette idée d’une carte pour jeune m’a scandalisé. Quand j’étais au primaire (siècle dernier, hooouuu…), il y avait un programme des Caisses Desjardins pour nous apprendre l’épargne. Chaque vendredi on apportait à la maîtresse d’école notre enveloppe de la caisse avec dedans quelques dix sous, cinq sous et vingt-cinq sous et on les déposait. À la fin de mon primaire j’avais 200$ dans mon compte.

C’était pas gros et l’argent venait du pot de change de mes parents, mais ça m’avait appris un truc : c’est qu’on peut épargner, accumuler un gros montant en réserve sur le long terme et qu’une dépense c’était un « retrait » de nos économies — qu’après on avait moins de sous dans notre compte. Avant de retirer de l’argent, on se demandait donc si ça en valait la peine, si c’était pour satisfaire un besoin ou un caprice, si on pouvait se le permettre, etc. Aujourd’hui, bien sûr, j’ai une carte de crédit, mais personnellement je déteste l’employer. C’est un outil pour faciliter le paiement dans certains endroits ou qui a été bien commode quand les chèques de bourses distribués via l’université n’arrivaient pas aux dates prévues.

Tout ça pour dire que plus jeune il me semble qu’on m’avait enseigné l’épargne comme valeur et qu’aujourd’hui, c’est le « consommer tout de suite et payer après » qu’on prône. C’est bien beau de payer après, mais un jour, il faut payer!

Gen a dit…

@idmuse : Merci!

@Prospéryne : Et l'avantage c'est que comme tu es habituée à un petit train de vie, voyager te coûtera moins cher. Surtout en Europe, où tu peux faire comme les gens du coin et te ramasser un sandwich baguette sur le pouce pour dîner.

@Phil : Ah, les petites enveloppes Desjardins. Oui, moi aussi je m'en rappelle. C'est vrai qu'elles nous apprenaient à épargner petit à petit.

Et oui, il existe des "cartes de crédit" pour préado. Ce sont des cartes prépayées en fait. Je n'aime pas non plus le fait que ça leur apprend à dépenser, mais comme elles peuvent aussi leur permettre de payer des trucs achetés en ligne (notamment ITunes), ça évite aux parents de devoir leur prêter leur propre carte de crédit! Ça pourrait être un outil d'apprentissage de gestion de budget ça aussi... Sauf que si les parents rechargent la carte sans poser de question, c'est sûr que ça apprend rien aux jeunes.

D'un autre côté, je ne compte plus les amis qui se sont fait prendre "les culottes à terre" quand le "payez plus tard" est devenu le "payez maintenant", alors je ne sais pas comment ils pourraient enseigner quoique ce soit aux plus jeunes...

Mais oui, y'a eu tout un changement de culture. Dire que pendant ce temps-là, je me sens super mal de mettre toutes mes dépenses sur ma carte de crédit (depuis que je me suis fait clôner une enième fois ma carte de guichet) même si je paie mon compte en entier à la fin du mois. J'pense que je suis une extra-terrestre et qu'on a oublié de me le dire! :p

Luc Dagenais a dit…

L’évolution des cartes de crédits illustre (ou explique, c’est selon) elle-même très bien ce changement de mentalités : À ses débuts en 1973, Mastercard se nommait « Master Charge » et un de leur premier leur slogan publicitaire était : « Things you can own with a loan! » (trad libre : Les choses que vous pourrez posséder avec un prêt.).

La carte de crédit était alors publicisée pour ce qu’elle est vraiment : un prêt personnel pré-approuvé avec lequel tu achètes ce que tu veux, pas une « méthode de paiement » alternative, comme elle est maintenant perçue.

Remarque, je plaide coupable, je paie tout ce que je peux sur ma carte et je rembourse à la fin du mois, je trouve ça plus pratique… ;o)

Gen a dit…

@Luc : Intéressant cette évolution des slogans! Maintenant c'est "Pour tout le reste, y'a Mastercard!" !!!

Tout payer avec sa carte et payer à la fin du mois, c'est non seulement plus pratique, mais, comme je l'ai découvert, plus sécuritaire! Les cartes de crédit sont moins clonées et les transactions sont plus surveillées. En plus, on est mieux protégés contre les transactions frauduleuses. (Crois-en la fille qui a dû s'obstiner deux fois avec la banque après s'être fait voler 500$ dans son compte!)

Bref, c'est un encouragement à tout payer avec sa carte... et, pour ceux qui manquent de discipline, à glisser très vite sur la pente du "ah, je peux pas tout payer ce mois-ci, mais c'est pas grave" :S

Isabelle Simard a dit…

Comme les autres, j'aime bien ton billet. Je ne roule pas sur l'or, je travaille à temps plein, je ne rêve pas de voyager dans le sud. On ira, mais pour se payer le voyage de rêve à Disney avec les mousses. Nous avons, encore, la liberté de faire ce que nous souhaitons. Si mon chum accepte un poste en gestion, ce ne sera peut-être pas le cas encore longtemps.

Gen a dit…

@Isabelle : En effet, quoiqu'il y a plusieurs sorte de gestionnaires... Mettons que certains ne travaillent pas aussi fort que d'autres! lol! Disons qu'il faut trouver son équilibre et pas nécessairement céder à l'attrait facile du plus gros salaire.

Isabelle Lauzon a dit…

Ton billet m'a fait réfléchir... et j'arrive à un constat intéressant : malgré les aléas de la conciliation du travail de secrétaire vs l'écriture (et l'éternelle impression de manquer de liberté), je suis très satisfaite de ma vie et des choix que j'ai fait pour arriver au point où j'en suis aujourd'hui.

Ta pauvre avocate, c'est l'extrême. Les jeunes auteurs sans le sous mais libres comme l'air, c'est l'autre. Et toi et moi, on se situe au milieu... C'est bien, je trouve que c'est une super bonne place, ça! :D

Merci pour l'article de Lagacé, j'irai y jeter un coup d'oeil! :D

Gen a dit…

@Isa : En effet, l'avocate, c'est un exemple extrême... mais pas rare. Y'a énormément de gens qui ont sacrifié leur vie personnelle pour pouvoir se payer le char de l'année et la dernière bébelle électronique. Quand ils sont heureux dans cette situation, tant mieux.

Mais quand j'en entends se plaindre qu'ils manquent toujours de temps (ou, pire, d'argent), là ça me désole.

Audrey a dit…

C'est drôle, la lecture des articles de Patrick Lagacé m'a inspiré le même genre de réflexion. Avoir une salaire à 6 chiffres mais être esclave de son travail 24/7, perso, c'est hors de question, mais tout est une question de choix. Par contre, on s'habitue très facilement à l'argent, ça crée des faux besoins (comme le voyage dans le sud) et après difficile de sortir de ce sorte de ce cercle vicieux.
En tout cas, moi je n'échangerai pas ma place ni avec des écrivains qui écrivent à temps plein, j'ai trop besoin de sécurité financière, ni avec des salaires à 6 chiffres, j'ai trop besoin de liberté. Comme Isa et toi, je suis satisfaite de ma vie et de mes choix et c'est l'essentiel !

Gen a dit…

@Audrey : En effet, l'argent crée des besoins. Ou plutôt, l'argent nous permet de faire moins de choix, de satisfaire des désirs moins prioritaires. Et ensuite, on a du mal à voir ce que désir-là n'est pas vraiment un besoin.

J'espère que cette série sur l'argent fera réfléchir plusieurs personnes. Je vois tellement de gens malheureux, esclaves de leur travail. C'est décourageant!

Une femme libre a dit…

Avoir de l'argent ne signifie pas nécessairement travailler 80 heures par semaine. Les gens qui ont les plus gros revenus ne sont jamais des salariés. Ils ont créé une entreprise, gagné au poker, investi. Il y a des gens qui ne font que ça dans la vie, faire fructifier leurs avoirs. Certains ont commencé petit mais se sont toujours intéressé aux finances.

Quand Lagacé parle des analphabètes des finances, il tape dans le mille! (c'est le cas de le dire, héhé!). Les femmes surtout me découragent souvent. Ne savent pas combien elles ont en banque, ni si elles ont quelque chose en fait, ça ne les intéresse pas, elles sont au-dessus de ça ou bien c'est le mari qui s'en occupe. Pas de placements, pas de reer, tout ceci est bassement matériel.

Et pourtant,l'argent, c'est la liberté et l'indépendance. C'est avoir des choix, y compris celui de vivre modestement et d'aider les autres.

Gen a dit…

@Femme libre : Je connais des entrepreneurs et s'ils n'ont pas les contraintes d'un salarié, ils travaillent encore plus, sans compter le stress omniprésent d'être responsable de sa compagnie.

Il n'y a pas de formule magique pour devenir riche sans effort et sans que ça envahisse nos loisirs, à moins de gagner au poker... et encore! Le joueur de poker professionnel, il est comme l'athlète professionnel : il en passe des heures à s'entraîner pour faire cet "argent facile". Et le jour où il ne trouvera plus cela plaisant, pourra-t-il arrêter? Ou sera l'esclave de son train de vie?

Valérie a dit…

Ah, tout à fait pertinent, ce billet! Quant à moi, j'ai fait le choix de continuer les études en partie parce que ça me libérait du temps (je choisis un peu mes plages d'études), contrairement au travail bien fixe. Viens avec ça les budgets plus serrés, mais cette flexibilité avec bébé en valait bien le coût! La liberté, c'est relatif, en effet.