mardi 15 novembre 2011

Utiliser la mythologie (5) - Psychanalyse, Dumézil et Structuralisme

Alors, j'espère que cette petite interminable série de billets sur la mythologie vous intéresse, parce qu'en voilà un autre épisode...

Ce qui est bien avec la mythologie, c'est que comme c'est vieux et fragmentaire et éclaté, on peut finir par lui faire dire à peu près n'importe quoi. Il y a d'ailleurs trois hommes qui sont passés maîtres dans l'art de faire dire n'importe quoi aux mythes. Dans l'ordre chronologique, nous avons donc...

Freud et l'approche psychanalytique

Selon Freud, tous vos problèmes viennent de vos rapports à votre mère ou à votre père ou au sexe ou à la mort ou aux trois en même temps. La preuve, c'est que c'était déjà comme ça dans l'Antiquité, c'est pas pour rien que les Grecs ont écrit le mythe d'Oedipe. (Pitchez-moi pas de tomates, je simplifie outrageusement, je sais, je sais!). Bref, Freud cherchait dans les mythes des archétypes des problèmes humains. Pis des fois il les trouvait tellement facilement que c'est dur de dire qu'il avait tort. À d'autres moments... Passons.

L'aspect intéressant de l'approche psychanalytique, pour un écrivain de SFFF, c'est de considérer le fait qu'une civilisation non humaine risque d'avoir une psychologie non humaine et sans doute alors des mythes basés sur cette psychologie pour expliquer le tout... (J'espère que je viens de donner des maux de têtes aux écrivains de SF! ;)

Dumézil et les indo-européens

Pendant longtemps, on a cru qu'il y avait eu une grande civilisation perdue, la civilisation des indo-européens, qui était à l'origine de tous les peuples caucasiens et de presque toutes les langues d'Europe. Dumézil, suivant ce courant de pensée, en est arrivé à la conclusion qu'en analysant ce que les langues et les mythes avaient en commun, il arriverait à reconstituer la culture de ce peuple originel.

Bon, depuis on s'est rendu compte qu'il y avait plutôt eu des échanges culturels constants entre les premiers peuples (ce qui explique par exemple la parenté entre le mythe japonais d'Izanagi et d'Izanami avec celui, gréco-romain d'Éros et Psychée) et qu'il n'y avait donc pas de noyau fondateur. Mais c'est pas grave : avouez que la théorie de Dumézil, cette idée de remonter vers une vérité (ou un peuple perdu) à travers les mythes, a quelque chose de franchement séduisant pour un écrivain!

(Surtout si je vous casse pas les pieds avec l'autre théorie de Dumézil, celle voulant que tout mythe indo-européen est marqué par la tri-fonctionnalité religieuse/ guerrière/ nourricière, c'est-à-dire qu'il y a toujours trois personnages qui occupent toujours ces trois fonctions, même si en fait on ne voit que deux personnages ou même s'il y en a quatre et si là vous commencez à plus rien comprendre, c'est normal, c'est pas pour rien qu'un essai d'histoire s'intitule "Faut-il brûler Dumézil?")

Lévi-Strauss et le structuralisme

Cette école-ci, je vais vous en parler vite, principalement parce que j'y ai jamais rien compris. En gros, Lévi-Strauss a avancé l'idée que l'important avec les mythes ce n'était pas ce qu'ils racontaient, mais la structuration (d'où "structuralisme") de leurs idées. Le structuralisme identifie les "mythèmes" importants des mythes (la méthode par laquelle les mythèmes sont choisis reste un mystère, mais je soupçonne que ça inclut des sacrifices animaux) puis fait une lecture du récit en regardant comment ces mythèmes (combat, liens familiaux, émotions, etc) sont traités. Et, à la fin, il vous sortira une théorie voulant que le minotaure représentait l'amour déçu, en opposition avec l'affection filiale. Ah bon.

Ce qui m'étonne le plus, c'est que cette école, à ce que j'ai pu remarquer, est la plus étudiée dans les cours de littérature qui traitent de la mythologie. Probablement parce que son rapport aux symboles peut être générateur d'inspiration... ou parce qu'elle apprend à l'écrivain qu'en retournant un récit suffisamment longtemps, on arrive toujours à le présenter de façon à ce qu'il reflète des thèmes importants pour le lecteur... ou pour un jury du Conseil des arts! ;)

6 commentaires:

Mathilde a dit…

Tes définitions et surtout tes critiques des approches d'interprétation du mythe me font franchement rigoler !
En ce moment, je planifie une nouvelle tentative pour expliquer à mes étudiants c'est quoi le structuralisme et je commence à être tentée de jeter l'éponge !
Quant au caractère disons fantaisiste du choix des mythèmes... connais-tu l'essai de Bernard Arcand et Serge Bouchard sur le pâté chinois ? C'est en lisant ça que j'ai compris à la fois Levi-Strauss et ses limites.

Gen a dit…

@Mathilde : Lolol! J'ai pas lu l'essai, mais le titre donne une bonne idée! :p Sans blague, je crois que moi non plus j'ai pas compris le structuralisme... ou plutôt je peux te dire quand est-ce qu'on l'applique, mais je cherche encore à quoi il sert! hihihihi

Mathilde a dit…

À quoi sert le structuralisme... Une fois la question posée comme ça j'avoue que je ne suis pas sûre de la réponse non plus ! Je dirais que ça sert à comprendre le mythe au-delà des apparences, comme quelqu'un dans la société qu'on étudie pouvait le comprendre, en tenant compte des détails.
Des fois ça s'applique bien. Si on regarde par exemple le mythe d'Adonis, on voit que les mythèmes qui ressortent sont d'un côté le parfum (la myrrhe), de l'autre la puanteur et le flétri (la laitue), d'un côté la séduction (d'Aphrodite et de Perséphone) et de l'autre côté l'absence de virilité (mort à la chasse donc pas à la guerre, caché dans une laitue). Tout ça montre qu'Adonis n'est pas l'expression de la puissance sexuelle mais bien de l'immaturité sexuelle (il est séduisant comme le parfum mais il se flétrit trop vite, comme la laitue ? Là je ne suis pas certaine d'avoir bien suivi Detienne, mais la laitue est identifiée à l'impuissance sexuelle). Comme on ne dirait pas spontanément, sans l'analyse structurale, que le mythe d'Adonis traite d'immaturité sexuelle, je pense qu'on a fait un pas, parce que les rites anciens associés à Adonis montrent bien que dans l'Antiquité ce personnage n'était pas l'homme super-viril qu'on en fait à première vue.
D'autres fois ça s'applique moins bien. À propos du pâté chinois, Bernard Arcand et Serge Bouchard proposent une analyse structurale du pâté chinois qui explique que dans la nature, le boeuf est supérieur au maïs, qui se situe lui-même au-dessus des patates qui poussent dans la terre. Le pâté chinois constitue donc un plat subversif car il renverse l'ordre du monde en plaçant le boeuf en-dessous du maïs et des patates... Mais de plus, tous les éléments du pâté chinois sont présentés comme morts : la patate est anéantie (pilée), le maïs égrené, la viande hachée, on ne reconnaît plus les ingrédients. Or il n'y a que dans la mort que les derniers seront les premiers et que l'on est ainsi anéanti. Le pâté chinois montre donc un acte d'humilité (accepter d'être transformé et que l'ordre de la nature soit renversé) et une certaine sagesse face à l'inexorable (la mort).

Gen a dit…

@Mathilde : Oui, c'est toujours la lecture que j'ai vue du mythe d'Adonis... mais... mais si l'association parfum/séduction me semble évidemment, l'association manque de virilité/laitue m'a toujours donné l'impression qu'on avait cherché quelque chose pour faire écho au parfum et qu'on s'était lancé sur le premier truc qui pouvait faire l'affaire!

J'veux dire : Adonis représente l'immaturité sexuelle parce qu'il fait montre d'un manque de contrôle (et met la bisbille entre les déesses). Point. Pourquoi couper les cheveux en quatre? Enfin...

Ah, c'est à ça que sert le structuralisme : couper les cheveux en quatre! lolololol! ;)

Et pour le pâté chinois... Lol! Excellent application du structuralisme tant qu'à moi! ;)

Anonyme a dit…

Bonjour,
Bien sûr le structuralisme a ses limites, et Dumézil n'a jamais trouvé son peuple indo-européen. Néanmoins,il est caricatural d'en donner l'image de purs affabulateurs jouant avec les symboles. Le but du structuralisme est justement de sortir du sens littéral du symbole pour en donner une version complexifiée par ses différentes ramifications et intersections. Négligeons les exemples grotesques reproduits ci-dessus, mais relisons "Le cru et le cuit". Ce n'est pas la Bible bien sûr (il fut un temps où l'on pensait que le structuralisme pouvait tout expliquer) mais on y trouve des piste intéressantes. Alors,cessons la caricature! On oppose ce genre d'arguments à tous les psys, mais on n'effleure alors que le bout du poil du raisonnement...

Gen a dit…

@Anonyme : Je connais très bien le structuralisme. Mon but ici était d'en donner une image suffisamment caricaturée pour que les non spécialistes puissent le reconnaître ou pour qu'ils puissent "s'amuser" (et j'insiste sur ce mot) à l'utiliser.

Ce blogue est lu par des écrivains "de genre", c'est-à-dire des gens qui aiment bien prendre la vie avec un brin de légèreté. Désolée si cela vous a offusqué.