mardi 27 septembre 2011

Le pain ne lève pas tout le temps

Je lisais l'autre jour le texte d'un ami. D'un ami assez proche pour que je puisse lui dire la vérité. Mon verdict a fini par tomber : j'accrochais pas du tout à l'histoire.

"Pourtant, me répond-t-il, ma première phrase est accrocheuse".

Je devais en convenir.

"Je présente mon personnage par son nom dès les premières phrases".

Encore vrai.

"L'élément déclencheur survient dans le premier 10% du texte. J'ai doté mon personnage d'un passé et d'aspirations futures. Mon intrigue se tient. J'ai écrit au présent, parce que ça fait moderne et que sa plonge le lecteur dans l'action. Mon narrateur en "je" est justifiable pour bien faire sentir la paranoïa du personnage."

Vrai, vrai et toujours vrai.

"Alors, c'est quoi le problème? L'histoire est convenue? Le style d'écriture est banal? Le personnage est en carton parce que son histoire colle tellement trop aux événements qu'on voit qu'il a été pensé sur mesure? Les descriptions sont trop chargées? On voit venir à l'avance les supposés retournements?"

La réponse, c'est qu'il y avait un peu de tout ça. Que le pain n'avait pas levé, malgré son attention à suivre minutieusement toutes les recettes...

Ou, plus probablement, à cause de cette attention. Mais ça c'est mon interprétation... Vous pensez quoi des "recettes" vous?

27 commentaires:

ClaudeL a dit…

Comme le pain, chacun préfère sa sorte. Toutes les recettes ne sont réussies que dans la mesure où le résultat te convient. Pas folle de Michel David, trop de dialogues, mais j'avoue que j'en ai lu un avec plaisir, comme il m'arrive de manger du pain blanc, mais ce n'est pas mon préféré. Je pleure facilement devant un film américain à l'eau de rose, surtout si, dans la recette, il y a un ou deux chiens. Je ne suis pas contre les recettes, mais je suis du genre qui ne les suis pas très souvent et j'aime varier. Peut-être pour ça que...

Gen a dit…

@ClaudeL : Lolol! Je t'imaginais pas en train de pleurer devant un film à l'eau de rose (chiens ou pas)! ;)

Hum, oui, varier les recettes, moi aussi c'est plutôt mon style. Varier, en inventer, expérimenter... À l'écrit comme dans la cuisine.

Prospéryne a dit…

Je dirais que si on suit une recette d'instinct, c'est qu'elle nous convient et dans ce cas, on aura même pas besoin de la connaître pour la suivre. S'imposer de suivre une recette, c'est toujours se couper un peu de soi pour adopter la technique d'un autre. À mon très humble avis, ça fini toujours par sentir quand on lit le texte.

Gen a dit…

@Prospéryne : C'est mon avis aussi. J'ai d'ailleurs de la misère à croire qu'une recette "instinctive" est une recette.

De la même façon : mettez peu d'adverbes, c'est pas une recette, c'est un conseil. Mais "assurez-vous d'avoir moins de 1 adverbe par 200 mots", là c'est de la recette. Parce que et si, soudainement, on en avait besoin de plus, hein?

Pat a dit…

Il y a un danger à trop vouloir suivre les «recettes littéraires». On risque de transformer son texte en peinture à numéros.

Oui, tu as peint toutes les petites cases, mais...

Gen a dit…

@Pat : Exactement : "mais..."

Comment veux-tu faire quelque chose d'original quand tu suis les règles déjà établies pour créer le personnage, le rythme de l'intrigue, l'ordre des scènes, le dosage de dialogues?

Enfin... Je suppose que les recettes rassurent.

Guillaume Voisine a dit…

Je crois que ce type de recette est probablement la pire chose qu'on peut présenter à un aspirant écrivain, qui aura tendance, comme ton ami, à considérer le texte littéraire comme une vulgaire check list à remplir, plutôt que comme une mécanique d'une effroyable complexité (même, et surtout, pour des textes plus courts).

C'est que c'est rassurant, une recette. Pas besoin de trop trop se casser la tête; ça donne une très fausse impression de sécurité. (Oui, le point-virgule est conscient et volontaire). C'est logique, objectif, imparable. Hélas, ça ne fonctionne pas comme ça. Et puis, non, pas hélas du tout, heureusement, en fait !

Je dirais que dans le même ordre d'idée, la version saine de la recette, c'est la contrainte. Ça peut donner des résultats vraiment excellents. Mais si on applique systématique la contrainte, ça dévolue en... voilà.

Guillaume Voisine a dit…

*ment

Frédéric Raymond a dit…

Les recettes, c'est bon dans la cuisine et dans le labo. Je crois que c'est bon d'avoir un plan, mais de ne pas établir ce dernier à partir d'idées préfabriquées.

Gen a dit…

@Guillaume : Bonne distinction entre la recette et la contrainte. En effet, l'une est rassurante, mais donne un résultat fade, tandis que l'autre nous force à sortir de nos ornières. (Et comme j'ai déjà dit, un point-virgule de temps en temps, j'en fait pas une crise! ;p )

@Fred : Ah oui, le plan, c'est pas la même chose que la recette. Cela dit, il existe des recettes même pour le plan. On dirait qu'il y a des écrivains qui savent pas expliquer leur démarche sans présenter ça comme "la" voie à suivre!

Dominic Bellavance a dit…

Les recettes, je pourrais seulement donner des mises en garde contre elles. Mieux vaut s'efforcer à développer sa sensibilité et son instinct. Et pour y arriver, une seule solution : lire souvent, lire beaucoup, lire varié.

Frédéric Raymond a dit…

C'est le temps de citer Stephen King: "If you don't have time to read, you don't have the time (or the tools) to write. Simple as that."

Gen a dit…

@Dominic : Bon alors ça se confirme : c'est pas juste mon interprétation! ;)

@Fred : Amen!

Une femme libre a dit…

Si un auteur emploie des recettes, en autant que je ne les perçois pas, aucun problème. C'est le résultat qui compte. Est-ce que la grande Marie-Claire Blais, avec ses phrases qui durent des pages mais sans jamais perdre le lecteur, sa presque absence de ponctuation, son souffle qu'on croit sentir dans notre cou, est-ce qu'elle emploie des recettes autres que les siennes propres? Et Michel Tremblay, qui lui a appris à écrire? Je sais que vous ne lisez pas ces auteurs, mais vous devriez, vraiment. J'aimerais beaucoup avoir votre opinion.

Guillaume Voisine a dit…

Femme libre, qu'est-ce qui te fait croire que tu connais le contenu de nos bibliothèques?

Gen a dit…

@Femme libre : Hum... J'appuie Guillaume ici : qu'est-ce qui vous fait assumer qu'on ne lit pas ces auteurs? Petit truc : normalement, quand l'auteur commence à être connu du public, les trippeux de littérature comme nous l'ont lu (parce qu'on l'a rencontré dans nos cours ou dans un salon du livre). Ou alors on y remédie très vite! lol!

Je ne pense pas qu'il soit possible de sortir d'un cours niveau cégep en littérature sans avoir lu Michel Côté. Et de sortir de l'université sans avoir lu au moins des extraits de Blais...

Cela dit, non, c'est deux auteurs n'emploient pas de "recettes" (les deux, en fait, ont fait tout ce que les recettes disent de ne pas faire! lolol!).

Avec le temps, chaque auteur développe sa méthode, mais ce ne sont pas des recettes. C'est la différence entre la grand-mère qui fait ses tartes "à l'oeil" et le cuisinier ordinaire qui suit scrupuleuse le dernier livre de Di Stasio.

Isabelle Simard a dit…

Quel excellent débat! Pour moi, une recette c'est un moule, et comme en cuisine j'ai tendance à en déborder.
À titre de lectrice, il a des moules que je "spot" rapidement et qui me dérange. Dans mon écriture, j'ai vraiment tendance à essayer de les éviter.
Un peu comme pour une sauce à spaghetti, je dirais qu'il faut se faire la sienne et on finit par la trouver à force de goûter celle des autres et de pratiquer. (Ça paraît que je suis en train de dîner, vive les analogies alimentaires.)

Gen a dit…

@Isabelle : Ah, j'aime l'analogie avec la sauce à spah! :)

Une femme libre a dit…

Bof! Vous m'aviez déjà dit que vous ne trippiez pas trop Michel Tremblay, Gen (et vous avez bien le droit!), je ne faisais référence qu'à ça, pas à la bibliothèque de tous vos lecteurs et commentateurs! Le "vous" aurait pu être un "tu", si je n'étais pas une vouvoyeuse notoire! ;o)

Gen a dit…

@Femme libre : Ben c'est pas parce que je trippe pas Michel Tremblay que je ne l'ai pas lu et intensivement. Le "Vous devriez, vraiment", alors qu'on vient de parler du fait qu'on doit lire pour écrire, avouez qu'il sonnait un peu... présomptueux, disons.

Je ne me suis pas lancée à la recherche du renouveau en littérature de genre avant d'avoir lu mes classiques, tous genres confondus. Ça veut Asimov, Le Guin, Tolkien, mais également Tremblay, Green, Blais, Laferrière, Camus, Beaudelaire, etc, etc, etc, en passant par Daniel Steel et Dostoïevsky!

En règle générale, les amateurs de SFFF ont une très solide culture littéraire générale. Comme on joue sur les codes de la littérature générale, faut s'y connaître ;)

Une femme libre a dit…

C'est vrai que j'ai l'impression que les écrivains de science-fiction lisent surtout d'autres écrivains de science-fiction et qu'ils en font leur pain et leur beurre. Et ce que j'ai lu en science-fiction jusqu'ici m'a intéressée, oui, mais on dirait qu'il y a comme une recette, souvent, une façon d'écrire qui se ressemble un peu d'un texte à l'autre. Je suis loin, très très loin d'être une experte dans le domaine et c'est vous qui me l'avez fait découvrir en fait. Désolée d'avoir blessé la susceptibilité de qui que ce soit.

Gen a dit…

C'est juste que c'est un discours qu'en entend très très souvent. Une présomption voulant que les écrivains de SFFF ont découvert les univers de l'imaginaire avec les jeux vidéos et n'en sont jamais sortis.

Pour ce qui est du style et de la recette en SFFF, il y en a beaucoup, en effet, parce que le genre a souvent souffert de sa popularité. Et puis certains écrivains de SFFF privilégient les idées au détriment du style. Mais certains (citons Sernine et Vonarburg pour rester dans l'univers québécois) ont des plumes magnifiques.

D'ailleurs, je sais pas pourquoi, mais je suis sûre que le Pays des mères de Vonarburg vous plairait beaucoup! ;)

Philippe-Aubert Côté a dit…

J'avoue que c'est une présomption qui m'agace aussi :-) Est-ce qu’on reproche aux auteurs de littérature « générale » de ne lire *que* de la littérature générale? :-) Si eux le font, je n’aurais pas de remords à ne lire que de la SFF :-D

Mais blague à part, il me semble que dans ma vie j’ai rencontré plus de mordus de SFF qui lisaient de la littérature générale que de lecteurs de littérature générale qui flirtaient avec la SFF. Je n’ai aucune preuve quantitative de ce que j’avance, mais mes brèves fréquentations des étudiants en littérature à l’Université Laval m’avaient donné cette impression… J’aimerais bien voir un sondage sur les habitudes de lecture de tout ce beau monde pour confirmer ou infirmer… :-)

Mais le fait est aussi que si l’on veut *écrire* de la SFF et être le moindrement original, il faut lire en masse de littérature SFF pour voir les courants, les tendances, les lieux communs. La SFF est très *spécialisée* quand vient le temps d’en écrire, même si un vaste public en lit. Or, il s’en produit beaucoup et chaque journée n’ayant que 24 heures, la majorité étant occupés par des emplois ou autres occupations destinées à nous faire vivre, eh bien on doit établir des priorités, il me semble. Je lis de temps à autre des romans de littérature générale quand ceux-ci m’intéressent ou traversent le temps (j’ai lu récemment Au cœur des ténèbres de Conrad que j’ai adoré) mais je donnerai toujours la priorité à la SFF parce que j’ai l’ambition d’en écrire et parce que ces récits me *parlent* plus que les autres.

Isabelle Lauzon a dit…

Wow! Belle discussion ici! :D

J'ai trouvé bien drôle l'histoire du 10 %... Si on se met à être aussi technique, ça devient un peu rigide, non?

Je suis d'accord avec Dominic : sensibilité et instinct avant tout. À la réécriture, on peut toujours aplanir les angles, mais au départ, si le concept se tient, que ça vient de nos trippes et non pas juste de notre raison, d'une recette préétablie qu'on essaie de suivre à la lettre... Là, le pain a plus de chances de lever!

Les recettes, c'est bon pour avoir une base, mais après... faut tricher! Comme je triche avec à peu près toutes les recettes de cuisine... ;)

claude b. a dit…

Les recettes, c'est excellent pour les amateurs de recettes.

Gen a dit…

@Phil : La porportion de SFFF vs littérature générale est laissée à l'appréciation de chacun, mais c'est normal qu'on lise plus du genre qui nous intéresse. Et moi aussi j'ai remarqué plus de lecteurs de SFFF qui lisaient de la lit gen que le contraire.

@Isa : Tu ris, mais j'ai déjà souvent cette règle du 10% (qui n'est pas folle : faut qu'il se passe quelque chose dans le premier 10% du texte) et rencontré des gens qui l'appliquaient à la lettre (genre au mot près!!!). En effet, je pense qu'il faut fonctionner "à l'envers" avec les recettes : écrire d'abord, puis appliquer les moules après, si on y tient vraiment (ou si ça peut vraiment corriger un défaut du texte).

@claude b : (Hé, ça faisait longtemps qu'on t'avait pas vu!) Sages paroles ;)

claude b. a dit…

J'étais saoul, mais là, ça va mieux!