lundi 22 août 2011

Geisha de Leslie Downer

Un ami m'a prêté Geisha - The secret history of a vanishing world de Leslie Downer. Le livre n'est pas un roman. Situé plutôt dans la lignée du Geisha de Liza Dalbi (un ouvrage d'anthropologie sur les geishas) c'est le récit des recherches qu'une journaliste, Leslie Downer, a mené au Japon à l'aube de l'an 2000. (Par la suite, Downer a publié deux romans sentimentaux situés dans cet univers, comme quoi une bonne recherche n'est jamais perdue! ;) La plupart des notions présentées dans ce livre n'étaient pas neuves pour moi, mais elles ont été décortiquées comme jamais auparavant (enfin, dans une langue que j'arrive à lire) et émaillées d'anecdotes que je ne connaissais pas (en plus d'être appuyées par de solides références).

Ce qui m'a particulièrement intéressée avec cet ouvrage, c'est que la journaliste n'a pas seulement étudié l'univers actuel des geishas, mais elle a fait oeuvre d'historienne, recherchant les origines de ces artistes qui sont nées parmi les prostituées, mais s'en sont dissociées peu à peu. La lecture a été d'autant plus enrichissante que l'âge d'or des geishas correspond à une époque de l'histoire du Japon qui est souvent résumée en une ligne dans les livres d'histoire.

En effet, on se contente souvent de dire que du début du shogunat des Tokugawa (17e siècle) à l'ère Meiji (fin 19e siècle), le Japon s'est fermé au monde extérieur et a vécu en paix. On oublie de préciser que cet isolationnisme féroce lui a permis de développer la culture extrêmement complexe et raffinée qu'on lui connaît aujourd'hui. Et que les geishas furent les piliers de ce développement culturel, qui était, à ses débuts, une contre-culture, celle des marchands et des riches samouraïs, en opposition à celle des aristocrates impériaux.

De plus, tout en racontant l'histoire des geishas et leur spécialisation dans le domaine du divertissement non sexuel, l'auteure nous parle en même temps, par opposition, du monde de ces oubliées de l'histoire japonaise : les femmes mariées, ces maîtresses toutes puissantes des foyers où les maris ne passaient pas beaucoup de temps.

Les femmes mariées, comprend-t-on, ne sont pas et n'ont jamais été les rivales des geishas. Mariées à des hommes qu'elles ne connaissaient pas beaucoup avant les noces, les épouses japonaises préfèrent bien souvent le savoir en train de se divertir dans un bar, avec une geisha, avec une prostituée ou même avec une maîtresse, plutôt que d'avoir à essayer de rendre heureux et satisfait un inconnu avec lequel elles ne partagent rien. Le système semble bizarre à nos yeux d'Occidentaux, mais bon, il a fonctionné pendant quelques siècles et le taux de divorce au Japon continue d'être très bas. La prostitution, il faut dire, n'avait jamais été illégale au Japon avant l'intervention choquée des Américains suite à la Deuxième Guerre. Leslie Downer souligne d'ailleurs que l'interdit qui a frappé la prostitution après la guerre ne l'a pas du tout enrayée, donnant plutôt champ libre aux yakuzas (les mafieux japonais) qui ont repris en main (en rigolant) des réseaux déjà parfaitement organisés, employant la terreur plutôt que la règlementation pour garder les prostituées au travail.

Ce qui ressort du livre de Downer (outre le fait que les véritables geishas sont en train de disparaître peu à peu, mises à mal par la perte de l'éducation permettant d'apprécier leurs arts) c'est que, encore aujourd'hui, dans la société japonaise hommes et femmes vivent dans deux mondes séparés. Deux mondes qui, jusqu'à tout récemment, avaient chacun une grande importance. Jusqu'à récemment, les femmes au foyer étant vues comme celles qui assuraient l'avenir de la nation, tandis que les femmes de divertissement (geisha et prostituées) étaient celles qui permettaient aux hommes de se détendre et de supporter leur stress. Malheureusement, là-bas comme ici, l'importance des individus commence à être calculée en rapport au salaire qu'ils peuvent gagner, ce qui a énormément diminué le statut des femmes au foyer, dans un pays où on est encore loin d'entendre parler de conciliation travail-famille. Les geishas, quant à elles, sont considérées comme des travailleuses à part entières et on attend d'elles qu'elles subviennent à leurs besoins sans l'aide qui leur était traditionnellement apportée par leurs amants (riches hommes d'affaires ou politiciens). Or, les geishas, je l'ai dit, sont des artistes...

Bref, au final, ce livre est une belle étude d'un phénomène culturel, de ses impacts historiques et sociaux... Et de la difficulté que rencontrent tous les artistes du monde à payer les factures à la fin du mois! lol!

(Lecture 2011 #36)

3 commentaires:

Prospéryne a dit…

«Et de la difficulté que rencontrent tous les artistes du monde à payer les factures à la fin du mois! lol!»

Tu penses à quelqu'un là? :P

Isabelle Lauzon a dit…

Étrange, quand même, cette culture... Je comprends les occidentaux d'avoir été choqués. Mais par contre, si ça fonctionnait pour les japonais...

Pas facile de conserver ses traditions ancestrales dans cette ère de changements, de technologies et de partage mondial d'informations et de cultures!

Gen a dit…

@Prospéryne : Non, non, voyons (tousse) ;)

@Isa : Étrange en effet, mais oui, ça fonctionnait. Ce qui est triste avec notre époque, c'est qu'on va vers la standardisation des cultures, la perte des particularités. Est-ce une conséquence obligée de la mondialisation? J'en doute, mais bon... c'est sans doute la voie de la facilité.