mardi 8 février 2011

Stephen King et la méthode de l'archéologie

Dans On writing (dont j'ai parlé ici), King parle de sa méthode pour créer les histoires : la méthode de l'archéologie. Pour lui, nous dit-il, les histoires sont en effet des "vestiges" ou "fossiles" qui existent déjà, entièrement formés, quelque part dans son esprit. Lorsqu'il eu une idée, il aperçoit tout simplement un bout de ce vestige qui dépasse. Son boulot est ensuite de le dégager, de l'extraire sans le casser.

Il compare les plans agressifs au fait d'essayer de sortir un fossile de terre avec un marteau piqueur. Il nous suggère donc de s'en tenir loin.

La beauté de l'explication de King, c'est qu'on peut la comprendre de plusieurs façons. Les plus portés à la métaphysique vont comprendre que les histoires sont des trucs complètement formés qui ont une existence indépendantes, que les histoires nous arrivent "de quelque part" et qu'il suffit d'écrire au fil de la plume pour les faire surgir.

Étant donné ma formation, qui comprenait des cours d'archéologie, le parallèle me pousse dans une autre direction d'interprétation. Vous voyez, en archéologie, lorsque vous découvrez véritablement la pointe émergente d'un vestige, vous ne vous mettez pas à creuser immédiatement. Vous essayez d'abord de comprendre ce que vous avez découvert. Un mur? Un dôme? Une habitation? En terme de littérature, vous commencez à circonscrire votre idée : ça semble être du policier, il y aura quatre personnages importants...

Armés de vos estimations, vous commencez à creuser, avec précaution, d'un coup que vous vous seriez trompés et que vous auriez pris un temple pour une hutte. En littérature, vous essayez de préciser votre histoire, de voir dans quelle direction elle va...

Et c'est là le moment important : c'est en creusant pour dégager le vestige, que vous le fassiez au fil de la plume ou à l'aide d'un plan, que vous allez voir si vous vous êtes trompés ou pas... si le bout du vestige qui pointait ne rejoignait pas deux ou trois autres pointes émergentes que vous aviez déjà découvertes sans essayer de les dégager (ou en essayant, mais mal)... si votre histoire policière n'est pas plutôt du fantastique...

Que vous croyiez que l'histoire est une construction de votre esprit ou un cadeau des muses, d'une façon ou d'une autre la technique de l'archéologie insiste sur un point : vous devez tenter de comprendre la forme de l'histoire et non pas lui en imprimer une. Il faut extraire le vestige de terre sans le casser en morceaux et sans le peindre en rouge pour essayer de le rendre plus joli.

L'analogie vaut la peine d'être gardée en mémoire! :)

12 commentaires:

Marico Renaud a dit…

J'aime tellement ton commentaire qu'il va se retrouver entre les pages de "On writing" avec mention de l'auteur.
Bonne journée.

ClaudeL a dit…

Ouais, ben je ne dois pas avoir mis mes lunettes d'archéologue depuis un bon bout, parce que je ne vois rien qui pointe! Faut dire que je pense que je ne regarde même pas.
Merci prof.

Annie Perreault a dit…

Tu as tout à fait raison, Gen. J'adore ton explication. C'est ce que je crois, aussi, même si j'ai l'intuition que les histoires sont déjà complètes en soi, « quelque part », et qu'il nous faille les « extraire » de ce « quelque part » pour les rendre vivante.

Ce que tu dis, Gen, ne contredit pas ma vision, mais la complète très bien. MERCI ! ;)

Gen a dit…

@Marico : Ah ben, c'est gentil.

@ClaudeL : C'est sans doute parce que tu es encore dans le fond de la fosse d'où tu as tiré les derniers vestiges! ;)

@Annie : Je dois dire que je n'adhère pas du tout à cette théorie de l'histoire complète qui existe déjà quelque part! :p Pour moi, y'a beaucoup trop de travail dans les histoires pour que ça semble plausible! Mais, en effet, y'a moyen de concilier les deux visions autour de la technique de King :)

Émilie a dit…

J'aime beaucoup cette analogie! Merci Gen :-)

Gen a dit…

@Émilie : De rien! Et bon retour! :) Long time no see! :)

Sylvie a dit…

Merci de partager ce concept avec nous. C'est en effet une belle analogie et elle porte à réfléchir.
Il est extrêmement difficile d'expliquer concrètement un phénomène comme l'inspiration. Je suis comme toi, peu portée vers les interprétations métaphysiques, mais la question reste intéressante, ne serait-ce pour son côté mystérieux.

Gen a dit…

@Sylvie : J'ai eu l'impression que ça rejoignait ma méthode de travail : souvent, je n'ai qu'une scène qui m'apparaît clairement et je me mets à creuser pour trouver ce qui y menait...

Pat a dit…

Raahh!
J'ai manqué cette discussion!
Comprendre plutôt que construire, c'est pas toujours évident, mais c'est une ligne de conduite intéressante.

Excellent billet, Gen! Et ça me donne encore plus envie de me procurer ce fameux livre.

Gen a dit…

@Pat : Ben je commence à vendre beaucoup de punch d'un autre côté! ;)

Cela dit, je pense que nos histoires restent des objets construits, mais qu'une fois qu'on a construit la base (consciemment ou inconsciemment), faut comprendre là où elle nous amène, pas nécessairement la forcer à y aller.

Hugo a dit…

Fort intéressante analogie.
King développait une référence à ce commentaire que l'on attribue à Michelangelo qui racontait que les sculptures étaient déjà dans le bloc de marbre et que son travail consistait simplement à retirer le superflu.

Anonyme a dit…

Je suis toujours là Gen.

Émilie