jeudi 13 août 2009

Mon premier CLAO

Ben, voilà, je fais le saut. Indulgence s'il vous plaît, c'est mon premier texte depuis des années. J'ai l'habitude d'inventer des scénarios et des histoires, mais sans contraintes et je ne les écris pas. Je les fais jouer à des parties de jeux de rôles, je crée des jeux-vidéos ou je les raconte, tout simplement (c'est d'ailleurs une histoire racontée à Gen qui est à la base de "Le Double". :P). Le texte n'est pas mon médium le plus confortable disons. Mais je trouve ça intéressant de faire des CLAOs avec Geneviève. Je referai peut-être l'exercice éventuellement.

D'ailleurs, je me suis peut-être empêtré dans le genre historique. J'ai l'impression que mon récit est beaucoup trop factuel. Il est plus court que prévu et pas tout à fait au présent aussi. Mais bon, pour une première fois, je me permet plus d'entorses aux règlements...

Bon courage aux lecteurs!
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Éphémère

Je suis Toyotomi Hideyori et c'est ma dernière aube. Ce matin, pour la dernière fois, je respire l'air de la montagne. Cet air frais, vivifiant du début de l'été, les arbres dont les feuilles sont vibrantes et vertes, les vallées en contrebas qui regorgent de vitalité, tout est à mon opposé.
Je devrais rédiger, sur cette toile, mon poème funéraire, qui sera le dernier de la lignée des Toyotomi, mais contre toute convenance, j'en suis incapable. Ma vie n'a pas été un échec, elle n'a simplement jamais commencée. C'est maintenant, aux derniers instants de cette vie de parure, que je me décide à exister. C'est une confession que je livre.

J'ai vécu dans la disgrâce, héritier légitime du plus puissant clan du pays, emmuré dans la plus belle et la plus sécuritaire des prisons, la forteresse d'Osaka. En apparence, j'étais le plus puissant seigneur du Japon et, en vérité, un prisonnier.

Osaka, la forteresse, la citadelle. Je la connais depuis toujours. Je pourrais en décrire les moindres détails. Les chemins de gravier tortueux, les 7 portails à traverser pour entrer dans la cour principale, les allées et venues des gardes aux couleurs du clan Toyotomi, les grandes tours, l'incroyable épaisseur de ses murailles et ses douves profondes et larges. Aucune armée ennemie n'a jamais pu prendre Osaka d'assaut et l'emporter. Sa situation géographique et ses défenses en font le centre militaire du Japon. Les appartements intérieurs sont encore plus impressionnants : murs du plus fin papier de riz, paravents aux couleurs pures, chandeliers finement ouvragés, salles grandes de plusieurs dizaines de tatamis, habitants vêtus des soies les plus fines de Chine...

Mon premier souvenir clair remonte à l'automne de mes 7 ans en l'an 1600. Le grand-père de ma future épouse, Tokugawa Ieyasu, avait vaincu mon protecteur Mitsunari Ichida à la célèbre bataille de Sekigahara. La panique s'était installée dans la forteresse d'Osaka, et notre demeure en apparence imprenable était devenue notre prison. Une magnifique prison aux gardes attentionnés habillés de soie, aux barreaux de papier. J'aurais pu tomber plus mal, mais une prison reste une prison.

C'est l'effervescence du château qui reste gravée dans ma mémoire. La panique parmi les domestiques, les préparations aux divers suicides rituels... La victoire du clan Tokugawa fut si écrasante que le clan Toyotomi capitula aussitôt, sans même défendre la citadelle. Mon protecteur mort, Tokugawa m'a forcé à épouser sur le champ sa petite-fille, Senhime, âgée de 7 ans comme moi. Cette union au clan Tokugawa devait assurer ma fidélité au nouveau clan destiné à diriger le Japon. À cet âge, je faisais combattre des marionnettes, je regardais les oiseaux et les arbres, je jouais par terre, je faisais voler des cerfs-volants, comment pouvais-je être un ennemi?

Ma belle-famille, les Tokugawa, n'ont pas été conciliants avec moi. Senhime vivait avec moi et c'est le seul contact que j'ai eu avec les Tokugawa pendant de nombreuses années. Jusqu'à l'âge de 9 ans, en public, j'étais toujours l'héritier légitime du Taïko, jouant les successeurs avec le sérieux d'un petit enfant élevé pour régner, avec mon épouse à mes côtés. En privé, je regardais les montagnes en soupirant, rêvant d'une vie de grand guerrier, voire de rônin. Tout pour fuir les faux-semblants des honneurs qui m'étaient attribués. Tout pour quitter cette forteresse destinée à garder les ennemis du Japon au dehors, mais qui servait à m'empêcher de sortir et de vivre librement.

La mascarade n'a pas durée longtemps, 2 ans plus tard, Tokugawa était nommé Shôgun. Mes possibilités de successions venaient de disparaître. Et c'est presque avec soulagement que j'ai accueilli cette nouvelle. La naïveté dû à mon âge me fit croire que, ma légitimité disparue, le danger que je représentais envolé, j'allais sans doute retrouver la liberté et visiter ces montagnes si longuement convoitées.

Pourtant, rien n'a changé dans les années suivantes. J'étais toujours prisonnier de la forteresse et lié par les liens du mariage à la famille de celui qui me voulait du mal. Si je n'étais plus le successeur du Taïko, je faisais tout de même partie de la famille des Tokugawa, le clan le plus puissant du Japon. Les mensonges, les faux-honneurs étaient là, me suivant partout. Les journées passaient lentement, j'aspirais à l'aventure et les montagnes à l'horizon symbolisaient cette liberté qui m'était refusée.

Vint le jour où je connus Senhime, comme un homme connaît sa femme. Je n'avais rien accomplis dans ma vie et je croyais ne rien pouvoir accomplir. Cet acte, en somme tout simple, m'avait redonné un espoir insensé. Peut-être serais-je à même d'accomplir quelque chose et de donner la vie? Égoïste envie que de donner la vie à un enfant qui ne pourrait que souffrir comme moi, élevé au milieu de beaux atours, mais craint et détesté par la famille régnante. J'espérais secrètement, le confiant uniquement à Senhime, lors de nos rencontres sur l'oreiller. Mais les mois, puis les années passèrent et aucun enfant ne vint concrétiser notre union. Je suis maintenant soulagé de ne pas avoir condamné un autre enfant à cette vie.

Et je regardais les montagnes en me morfondant. Vint l'été de mes 21 ans. Le Shôgun avait trouvé un prétexte parfait pour attaquer la forteresse sans perdre la face et passer pour un despote. J'avais confié mon amertume à un moine de passage qui l'écrivit dans un temple. Cette marque fût considérée un défi à la face du grand-père de ma femme qui assiégeât sans tarder ma prison. Nous fûmes forcer de signer une trêve et dûmes combler les douves. Les défenses démantelées, l'apparente invincibilité d'Osaka n'était plus.

J'ai passé ma dernière année à préparer ma fuite. Les quelques samouraïs encore fidèles au clan Toyotomi ont compris, eux aussi, que leur fin était venue. Plusieurs ont décidé de défendre la citadelle pour me donner une chance, à moi et à quelques autres samouraïs, de fuir. En effet, Tokugawa n'allait pas se contenter d'une victoire qui ne résulterait pas par ma mort. Lorsque le Shôgun est revenu à Osaka à la fin de cet été de 1615, j'étais déjà sorti, chevauchant vers les montagnes de mes rêves, quittant cette prison aux allures de grand château. J'ai renvoyée Senhime à son grand-père, qu'au fond elle n'a jamais vraiment quitté. Sa vie à elle pourra enfin commencer.

Je vis ici depuis quelques semaines, dans le plus grand dénuement avec ces quelques guerriers qui me sont fidèles. L'exubérance des premiers jours à vivre dans la montagne disparait déjà parce qu'hier soir, j'ai compris: ma belle-famille, mon sang, la forteresse, tout ce qui constitue ma prison, je ne pourrai pas y échapper. Je suis dans ces montagnes qui depuis toujours sont ma liberté et pourtant je suis toujours dans ma geôle. Ieyasu a bien réussi son coup, je suis dans Osaka depuis si longtemps, qu'en fait, c'est Osaka qui est en moi. Je n'ai rien accompli dans ma vie. Elle était si courte, elle a commencé il y a quelques minutes et se termine dans quelques autres à peine. Pour la première fois, je suis rebelle et je crée, à partir d'une simple toile et d'un pinceau.

J'avais l'idée d'écrire un poème funéraire suivant le thème de l'éphémère, la grandeur du clan Toyotomi n'ayant même pas survécu à une génération, mais la seule chose que je connaisse, c'est le vide, l'absence, la stérilité. C'est ce que je représente, c'est ce que je suis. Je l'accepte désormais. Avec mon suicide, je rejoindrai ce domaine stérile qui est le mien depuis tout temps. Et dans le souci de parfaire mon absence de création, je vais ordonner à mon assistant de brûler tout ce récit.

Plutôt qu'un poème funéraire original, je vais citer ce poème, qui n'est pas de moi, mais de Minamoto Yorimasa:
“Sur le bois fossile
jamais la moindre fleur
ne s'est épanouie
et son destin
fut plus affligeant encore.”


La mort m'appelle.

2 commentaires:

Pierre H.Charron a dit…

indulgence ...Quelle indulgence ? Très beau texte et très belle plume.. Et auusi bel univers que tu as créé. Mets-toi À l'écriture, c'est en toi aussi je crois.

Vincent a dit…

Merci Pierre, c'est gentil.

Sauf que justement, je n'ai pas créé d'univers, c'est un récit historique. Ce sont des personnages réels, dans des endroits réels, aux bonnes dates avec des faits réels. :p